« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » 
(Bernanos)

Est-il bon ce monde d’hyperconsommation et d’hyperconnectivité qu’on nous avait donné pour inéluctable – fatal, plutôt –, où l’on ne respirait plus, se logeait à l’étroit, polluait la planète, exploitait les plus pauvres, dévastait la biodiversité, épuisait les ressources… ? Voilà que le virus nous signale que le modèle est exécrable, qu’il faut regagner en souveraineté, garder la maîtrise de ce qui nous est indispensable, et revenir à l’indispensable justement, contre le gâchis généralisé. Soudain le programme – nous réformer de fond en comble – serait presque enthousiasmant.
(Belinda Cannone, romancière et essayiste)

L’homme est allé trop loin, il a vécu sur terre comme s’il était seul au monde. Il a négligé le lien avec ses voisins, avec sa famille parfois. Trop occupé à se perdre lui-même. À brouiller les ondes de son propre chaos.
(Agnès Charlemagne, formatrice)

Pour moi, cette pandémie est au contraire l’occasion d’un examen de conscience, individuel, comme citoyen et universitaire, mais aussi collectif, comme compagnon dans la corporation des philosophes dont ma retraite ne m’a pas exclu, voire comme bénéficiaire de cette civilisation qui, partie d’Europe, a gagné une bonne partie du monde. Je me demande donc : cette épidémie est-elle la plus grave qui soit ? N’y a-t-il pas des épidémies intellectuelles, morales, spirituelles, certes plus discrètes, mais plus délétères sur le long terme ? Toutes ne viennent pas de l’Orient. La plupart ont pour épicentre l’Occident, voire la France. 
(Rémy Brague, philosophe)

« S’il y a des masques admirables, ils ne valent jamais la chair nue. » 
(Maurice Chapelan)

Cela étant, j’y vois deux similitudes : la volonté entravée et le vertige du temps.
Le peu invite au mieux, et puisqu’il n’y a plus de liberté extérieure, cultivons celle de l’intérieur.
Tirer le meilleur parti de ce que nous sommes permet souvent de se découvrir des ressources insoupçonnées.

Dans tous les cas, ce temps devient moins rythmé par l’extérieur, et il nous revient de remettre un ordre choisi dans nos occupations, de reprendre la main sur les priorités. Car le temps est la seule chose qui nous soit comptée à tous de la même manière, seconde après seconde. Ce bien précieux est l’unique cadeau que nous pouvons faire à ceux que nous aimons. Voilà que l’occasion s’en présente. Ce temps n’est pas perdu, mais retrouvé.

Cet étrange arrêt sur image est aussi une formidable occasion de nous interroger sur le sens de ce qui nous a menés jusqu’à présent et les raisons profondes de cette crise.

Un jour, ce confinement prendra fin. Si nous ne faisons que reprendre le cours de nos vies comme si de rien n’était, alors cette épreuve aura été une inutile et douloureuse parenthèse.

Cet effondrement nous apprend que les organisations que nous avons construites ne sont ni omnipotentes ni éternelles. La fragilité que nous éprouvons aujourd’hui est un retour, certes brutal, à la réalité. La vie sur la terre est une exception dans l’univers, et l’homme n’est qu’un passant.

(Isabelle Autissier, navigatrice et présidente de WWF France)

L’espérance est ce qui reste quand on contemple le champ de ruines. Dans le brouhaha du « tout va bien », on ne la voit pas car on ne la cherche pas. Un peu comme la lumière qui ne se voit bien que dans le noir. L’espérance est une force de gravité inversée : au lieu d’attirer vers le bas, elle tire vers le haut et laisse entrevoir que le désespoir peut être surmonté. Plus l’heure est grave, plus nous ressentons cette force qui nous fait lever les yeux vers le Ciel.
(Blanche Streb, directrice de recherche et formation d’Alliance Vita)

(Extraits interviews Journal La Croix, mars-avril 2020)

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