En France, l’indemnisation des catastrophes fonctionne sur un système mixte méconnu.
Zoom sur le rôle clé de la Caisse centrale de réassurance.

Les 23 et 24 novembre 2019, des pluies diluviennes s’abattent sur les Alpes-Maritimes et le Var, provoquant de terribles inondations.
Quelques jours plus tard, une première estimation du coût des dégâts est publiée : entre 380 et 450 millions d’euros. Ce chiffrage rapide – alors même que les autorités n’ont pas encore déclaré l’état de catastrophe naturelle et que les assureurs attendent encore les déclarations de sinistres des particuliers –, émane d’un acteur méconnu du grand public et pourtant central dans l’indemnisation des catastrophes naturelles, la Caisse centrale de réassurance (CCR).


Cette société publique a été créée par l’État en 1946 pour assurer « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».

Régime des Catastrophes naturelles en France

C’est la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) qui gère le régime des catastrophes naturelles en France.
Créée en 1946, son objectif est de protéger l’ensemble des Français « contre les dommages matériels directs non assurables ayant pour cause l’intensité anormale d’un agent naturel ».
En effet, si un assureur est financièrement en mesure de couvrir les dégâts liés à l’incendie, la tempête, la grêle ou le poids de la neige, il n’aurait pas à lui seul les reins assez solides pour indemniser les dommages provoqués par une inondation, une sécheresse ou un cyclone.


L’État impose aux assureurs privés de couvrir chaque particulier sur les catastrophes naturelles, via une surprime de 12 % sur la police « multirisques habitation ».
Sur ces 12 %, 12 % sont versés au fonds Barnier de prévention des risques.


Pour le reste, soit 88 % de la manne, deux options sont possibles :

  • l’assureur prend le tout et se charge de 100 % de l’indemnisation ;
  • ou il partage les primes à 50-50 avec la CCR et dans ce cas, l’indemnisation sera prise en charge à parts égales entre cette dernière et l’assureur.
    Et si les dégâts dépassent un certain montant, le supplément sera pris en charge par la CCR, qui dispose d’une réserve et d’une garantie illimitée de l’État. 
    « Plus de 90 % des assureurs en France ont choisi cette deuxième option », souligne Laurent Montador, directeur général délégué de la CCR.

Comment la CCR évalue les dégâts 

Si la CCR sait rapidement évaluer les dégâts « à la maison près ou à l’usine près » (1) , c’est parce qu’elle a développé plusieurs modèles de simulations.
Et c’est son département « modélisation et R & D », qui réunit plusieurs métiers : géographes, hydrologues, historiens du climat, agronomes, géologues, mais aussi géomaticiens (experts de géographie et d’informatique), en collaboration avec Météo France et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)… qui est chargé des opérations !

(1) Il existe une modélisation spécifique pour les zones agricoles.

Un exemple : les inondations de novembre 2019 dans le Var et les Alpes Maritimes

« Météo France nous a envoyé les données météo à l’échelle communale, avant et pendant l’épisode pluvieux, en particulier le cumul des précipitations, détaille David Moncoulon. Avec ces informations, notre simulateur calcule ce que devient cette eau (la partie qui s’infiltre, ruisselle ou rejoint les cours d’eau…), en fonction de la nature et l’inclinaison des sols, de la saison…»

Inondations dans le Var en novembre 2019

Il en résulte une carte des zones inondées, qui est ensuite « superposée » avec la « valeur assurée » des biens, autrement dit le montant maximal que l’assurance s’est engagée à rembourser à l’assuré en cas de sinistre. « Notre évaluation rapide permet à chaque assureur de connaître très vite le montant des indemnisations qu’il doit provisionner dans son bilan », précise Thierry Cohignac, au département Réassurance.

Les simulations sont aussi prospectives.

Les simulations sont aussi prospectives. « Nous avons estimé l’impact du scénario le plus pessimiste du Giec, à horizon 2050, sur le coût des catastrophes naturelles en France métropolitaine »  décrypte David Moncoulon. Pour cette opération, l’impressionnant parc informatique de la CCR, situé au sous-sol, a été mobilisé, mais il a fallu faire appel en plus au super-calculateur de Météo France, qui a tourné pendant six mois (un million d’heures de calcul), afin de simuler 400 scénarios climatiques possibles pour 2050 avec 50 paramètres différents (pluviométrie, températures…).

Super-calculateur de Météo France pour l’évaluation et la prévision des dégâts

Prévisions d’augmentation des sinistres à l’horizon 2050 (2)

A l’horizon 2050, le montant des sinistres à indemniser pourrait doubler, en raison de la fréquence et de la sévérité accrue des événements, et de leur concentration dans des zones à risques (urbaines, côtières…).
La hausse du coût des dommages serait ainsi de 60 % dans certaines zones de la façade atlantique, et de plus de 40 % en Île-de-France.

(2) Ce scénario prévoit une hausse des températures entre 1,4 et 2,6 degrés en 2050 et une hausse du niveau de la mer d’environ 20 centimètres.

Conséquences sur nos primes d’assurance

La hausse prévisible des coûts pose la question de l’équilibre financier du régime. Pour le garantir, plaide Laurent Montador, « il faudrait porter la surprime ”catastrophe naturelle” de 12 à 18 % d’ici à 2030, compte tenu du changement climatique ».

Les assurances privées n’y sont pas favorables. « Nos primes vont de toute façon augmenter en raison du dérèglement climatique, ce qui gonflera mécaniquement les recettes destinées aux catastrophes naturelles », justifie un assureur. 
« La profession préfère augmenter sa prime plutôt que la surprime, car cela lui garantit un surcroît de revenus pour ses propres caisses », glisse un bon connaisseur du dossier.

Qui décide ?

La surprime « catastrophe naturelle » a déjà été augmentée – par décret ministériel – à plusieurs reprises depuis sa création en 1982, pour permettre au régime de rester équilibré.

Cette décision peut être prise à tout moment, après consultation avec les parties prenantes.
Il n’y a pas de calendrier défini pour une telle décision, qui relève de l’État, en lien avec la fédération française de l’assurance.
En coulisses, les jeux d’influence s’annoncent serrés.

Clin d’oeil (en 1919 en … Alsace)

Inondations en Alsace en 1919

Repères

Un régime presque unique au monde

Créé en 1982, le régime français de catastrophe naturelle (dit « catnat ») est presque unique au monde. Seule l’Espagne dispose d’un modèle très comparable. La surprime de 12 % est associée à l’assurance multirisque habitations (pour un particulier) ou à la multirisque entreprises. Une surprime de 6 % est par ailleurs appliquée à l’assurance automobile.

Il coûte moins cher à la collectivité « car il est mutualisé et se finance en partie avec les primes des assurés, plutôt que sur les seuls fonds publics débloqués a posteriori », pointe Laurent Montador, directeur délégué à la CCR.

Il coûte moins cher à l’assuré, car la surprime couvre l’ensemble des périls qualifiés de catastrophe naturelle.
À l’étranger, l’assurance “catnat” est facultative, et il faut le plus souvent s’assurer risque par risque (sécheresse, inondation, etc.).

Source de l’article : Extraits Journal « La Croix » du 03/02/2020 -Article Marie Dancer

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